Guadalajara, Mexique – 3 juillet 1987

Allongé à même le sol dur, la petite fille contemplait le ciel passionnée. C’était comme si c’était la plus belle chose qu’elle ait jamais vue au monde, en fait c’était sûrement vraiment le cas ; l’intérieur de leur abris et leur quartier de maison de tôle étaient les seules choses qu’elle ait jamais vu en dehors du ciel alors il n’y avait pas photos. Elle écoutait attentivement sa mère qui était allongée près d’elle. Cette dernière lui parlait des étoiles, celles qu’elles pouvaient contempler en cette soirée de juillet, elle lui racontait aussi les histoires, des histoires que sa mère lui avait elle-même racontée lorsqu’elle était enfant. Et Esmeralda se laissait bercée par les mythes mayas au son de la douce voix de sa mère. Les soirs où il faisait doux comme ce soir-là, c’était souvent qu’elles finissaient allongées sur leur carré d’herbe sèche et piquante, un peu à l’écart des abris confinés. Et Esmeralda aimait beaucoup ses instants privilégiés. Les yeux de cette dernière s’étaient fermés et elle avait fini par s’endormir. Un regard affectueux posé sur elle, Maria passa une main dans les cheveux de sa fille. C’était son rayon de soleil. A trois ans, Esme était une petite fille très joyeuse et toujours souriante. Aider sa mère à nettoyer le peu de linge qu’ils avaient dans l’eau à moitié propre, remplir les seaux d’eau avec son père, aller au marché pour tenter de gagner une maigre portion d’argent, rien ne semblait la déranger. En même temps, à trois ans, elle ne pouvait pas se rendre compte que la vie que lui offraient ses parents était tout sauf une vie saine et agréable pour une enfant. Ca ne l’était pour personne d’ailleurs. Une lueur de tristesse brilla dans l’œil de Maria. Esmeralda allait grandir, et elle allait se rendre compte de tout ça. A ce moment-là, elle les détesterait et elle leur en voudrait de ne as avoir su être de bons parents et de ne pas avoir pu lui offrir une vie correcte. « Ne pense pas à ça… » Son mari l’avait rejointe et semblait avoir deviné le cours exacte de ses pensées. Il la serra contre lui mais elle ne se sentit pas mieux pour autant. Elle se sentait nauséeuse, mal. Ils auraient pu offrir à Esmeralda une vie rêvée, ils l’avaient fait avec sa sœur, sœur dont il ne faudrait jamais qu’elle découvre l’existence. Mais ils avaient été trop lâches. Elle surtout. Elle avait tellement mal vécu le fait d’abandonner un de ses enfants que d’abandonner les deux lui avait paru impossible, insurmontable. Elle ferma les yeux quelques secondes tandis que les larmes perlaient lentement. Esmeralda s’agita un peu dans son sommeil mais elle avait le visage paisible de l’enfant innocente qu’elle était encore pour l’instant. Innocence qu’elle allait perdre rapidement. Bien trop rapidement…

New-York, Etats-Unis – 14 juin 2010

« Toutes mes condoléances Mme Hamilton. »
Esmeralda ne prêta pas tout de suite attention à l’homme qui lui adressait la parole, depuis le matin, ce genre de phrase toute faite ne cessait de lui être rabâché et elle commençait à en avoir assez d’entendre cela. Elle finit néanmoins par se tourner vers l’homme et le remercia d’un signe de tête avant de s’éloigner. La grande maison était bondée de gens, tous venus rendre hommage au grand homme qu’avait été son mari ou encore venu consoler sa veuve éplorée parce que c’est ce qu’elle était aux yeux de tous. Elle passa devant deux femmes qui étaient en train de murmurer dans leur coin et entendit nettement des bribes de leur conversion. « Pauvre enfant, si jeune et déjà veuve. » Esmeralda retint un sourire, cela aurait risqué d’être mal perçu car aucune de ses deux femmes ne pouvaient soupçonner que ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait. En effet, elle s’était bien gardée de le répéter. Elle se demanda un moment ce qu’elles auraient dit si elles avaient été là la première, veuve à vingt-ans c’était tellement triste, ou la deuxième, ils avaient toute la vie devant eux. Mais fort heureusement pour elle, ces deux femmes n’avaient été là ni la première, ni la deuxième fois car malgré leur stupidité, elle se doutait que cela aurait éveillé quelques soupçons chez elles.
Esmeralda s’arrêta sur la terrasse et respira un coup. Elle commençait à perdre patience, elle en avait marre de jouer la comédie alors qu’intérieurement elle était ravie. Tout avait fonctionné exactement comme elle le désirait, encore une fois. Elle fit un petit sourire satisfait. La Esmeralda qui se tenait sur cette terrasse en ce jour de juin n’avait plus rien à voir avec la petite fille qui s’endormait sur le sol dur bercé par la voix de sa mère. Elle avait grandi et changer, beaucoup changer. Elle avait appris la vie et savait maintenant quelles étaient ses priorités. La première était évidemment l’argent et elle était prête à tout pour satisfaire celle-ci, même tuer ne la dérangeait pas. Du reste une vie de moins sur la terre ça ne changeait pas grand-chose, il y avait déjà trop de monde pour pas assez de ressources alors son on se plaçait de ce point de vue là, Esmeralda rendait service aux gens. Ainsi, Esmeralda était passée du statut de la pauvre fille forcé de voler à manger ou un peu de sous pour pouvoir se nourrir à celui d’une femme riche, très riche. Son argent, c’était sa vie. La grande majorité, il ne lui appartenait qu’à elle mais elle en donnait cependant un peu à sa famille au Mexique. Grâce à elle, ils avaient pu s’installer dans un logement correct et avoir un meilleur niveau de vie. Sa famille, c’était la seule chose qui comptait pour Esmeralda en dehors de son argent. Elle se passa une main dans les cheveux en soupirant. Si les gens avaient su qui elle était vraiment, ils auraient dit d’elle qu’elle était sans-cœur, cruelle. Et c’est le cas, elle était bien tout ça. Mais les gens ne savaient pas tous ça, parce qu’Esmeralda avait développé depuis longtemps un très grand talent pour les mensonges et la manipulation. Elle était une très grande actrice, elle pourrait bien penser à en faire un jour sa carrière. « Excusez-moi, on aurait besoin de vous quelques minutes. » Esmeralda sursauta, elle n’avait pas entendu qu’on arrivait derrière elle. Elle acquiesça et la personne qui l’avait rejointe fit un sourire poli. Esmeralda se dirigea alors de nouveau vers l’intérieur de la maison, tout semblant de sourire avait alors disparu, elle devait reprendre son rôle.