inno&yoly ♣ titreencoursdeméditation

Assise dans les studios de la radio, un casque sur la tête, un micro devant elle, Yoly s’appliquait à l’exercice délicat de l’interview. Devant elle, les animateurs de l’émission. Ironiquement la majorité des personnes qui se trouvait devant elle n’était pas des inconnus à ses yeux. En effet, il y avait Avelino –dit Nino– et… Innocence. Il fallait l’avouer qu’elle aurait préféré l’absence de ce dernier. Ses yeux balayèrent le panorama qui s’offrait à elle. Anxieuse de chaque question que les deux jeunes hommes pouvaient lui poser, la jeune musicienne resta silencieuse devant eux. Rapidement, l’un des deux animateurs annonça la pub et la prochaine chanson qu’ils allaient diffuser à l’antenne pendant leur pause.

Yoly en profita alors pour s’éclipser le temps de quelques secondes. « Hum, les toilettes sont où ? » Sans vraiment faire attention à qui était entrain de lui répondre, elle écouta sagement la direction qu’on était entrain de lui dicter. Sortant ensuite de la pièce, elle se dirigea alors vers ces fameuses toilettes. Arrivée à son objectif, Yoly se posa devant le lavabo où un miroir était situé juste au-dessus. Après avoir minutieusement joué avec le robinet, elle passa sa main sous le jet d’eau. Après s’être passée de l’eau sur son visage, la jeune fille s’essuya avant de poser ses mains sur le rebord du lavabo. Un soupir s’échappa de sa bouche et brisa en même temps ce silence qui régnait dans les toilettes.

(bah c'est court comme prévu, hein. )

Innocence détourna le regard pour la enième fois. A chaque fois qu'il croisait ses yeux brillants, il sentait la culpabilité monter en lui, l'assomer et le noyer dans ses regrets. Il se demandait comment il avait pu tirer un trait sur ce sourire, sur ces mimiques, sur cette façon particulière qu'elle avait de jouer avec ses mains. Elle avait été son premier amour et le dernier jusqu'à lors. Par la force des choses, dit-on, on se retrouve avec un vie totalement différente de celle que l'on avait imaginée, avec un destin nouveau. Quelque part on devient quelqu'un d'autre. Inno avait changé. Par la force des choses. La mort. La maladie. La souffrance. Il avait connu le pire et avait perdu tout espoir. L'ayant retrouvé, il lui donnait pour seul source la foi. Et son existence avait basculé. S'il avait mis fin à sa relation avec Yoly, c'était d'abord parce qu'il avait connu la mort, celle de sa mère, et aussi la douleur qu'il avait ressenti lors de son décès. Il était malade lui aussi, et il était inconcevable pour lui de faire souffrir Yoly de la sorte lorsque son tour viendrait. Et puis il s'était donné à Dieu, qui l'avait purifié de tous pêchés, à présent son existence n'avait plus qu'une seule visée : aider son prochain.
Mais malgré tout cela, c'est son inconscient qui prit le contrôle de son corps, ce jour là. Yoly paraîssait mal à l'aise. Il s'en voulut de nouveau. Sans réfléchir il se leva, la suivant. Elle entra dans les toilettes. Il attendit devant la porte, quelques secondes, quelques minutes, il ne savait pas. Ses pensées se bousculaient. Qu'avait-il à lui dire ? Que ferait-il ? Dans quel but ? C'est sans réponse précise qu'il débarqua dans l'étroite pièce, se trouvant nez à nez avec le fruit de ses interrogations, qui le dévisagea, dans un silence pesant.

Un amas de diverses pensées vint hanter son esprit. C’était pourtant sereine qu’elle avait abordé ce début de soirée. Sereine jusqu’à ce qu’elle réalise qu’il était là. C’était faire machine arrière et revenir quelques années avant, voyez-vous c’était comme rembobiner la cassette pour les adeptes du vintage. Innocence. Une seule personne et Yoly avait perdu un brin de son assurance. Il était son premier amour, sûrement le seul et unique. Le vrai. Celui qu’elle avait encore du mal à oublier, pourtant avec le temps, elle s’y était fait à cette idée : lui et elle, c’était une histoire finie.
Yoly fut surprise par des bruits de pas qui entrèrent dans les toilettes où elle se trouvait. Ses yeux instinctivement regardèrent dans la direction des pas et… comme un coup du destin ou du hasard, elle se retrouva nez à nez avec celui qu’elle avait aimé quelques années auparavant. Il n’y avait pas vraiment eu de grand changement, il était toujours le même. Pourtant c’était comme un autre Inno qui se trouvait face à elle, un nouveau Inno qui se tenait devant elle vous voyez. Un dialogue silencieux s’était installé entre les deux, juste des regards. Des regards rien d’autre. Un « Innocence… » fut murmurée par la jeune fille. Son prénom prononcé puis… rien d’autre.

Et puis face à elle il oublia tout. Il oublia pourquoi il était là, il oublia le malaise qui l'avait hanté quelques minutes plus tôt, il oublia à quel point il regrettait, et il la regarda. Avec les même yeux brillants qu'il avait eu la première fois qu'il l'avait vue. Ses yeux pleins d'amour, d'admiration, mélange de sentiments variés sur lesquels parfois il ne mettait pas de nom. Il se contentait de la regarder et de se dire que c'était la plus belle chose qu'il avait jamais vue. Durant un instant il crut avoir trois ans de moins, et se trouver dans cette allée où ils avaient l'habitude de se voir. Il sentit son parfum, esquissa un sourire, s'avança doucement comme il le faisait avant que tout bascule, pour aller l'embrasser, puis il reprit conscience et cligna des yeux pour revenir à la réalité. Il n'était pas dans cette allée, il n'allait pas s'avancer vers elle, et il n'allait pas l'embrasser pour lui dire bonjour et lui montrer combien elle lui avait manqué. Non, il allait rester debout, face à elle, et chercher quoi lui dire, debout comme un inconnu, un homme qui n'était plus le même, comme un idiot. Les lèvres de Yoly s'entrouvrirent et laissèrent échapper un doux son, celui de son prénom, murmuré en trois lentes syllabes. Il constata qu'avant qu'elle parle, il n'avait même pas remarqué le silence. Il lui avait parlé avec les yeux, comme ils avaient eu l'habitude de le faire auparavant. Finalement le silence n'avait pas été lourd ou dérangeant. Il avait suffit à ce qu'ils se comprennent. Mais Innocence savait que ce ne serait pas éternel, qu'avec le temps il fallait toujours finir par parler, par mettre des mots, parce que c'était nécéssaire. « Yoly. » Il n'ajouta rien de plus. Il ne savait pas quoi lui dire. Elle avait toujours été plus douée que lui pour trouver les mots.